Il y un an, nous arpentions les routes de l’Amexique. Chaque soir, nous attelions à la rédaction d’une newsletter pour nos soutiens, ceux qui ont contribué à financer notre projet. Une année plus tard, nous vous proposons de découvrir nos pensées, nos humeurs de ces instants uniques en différé.
Vous pouvez acheter notre livre ici : L’Amexique au pied du mur
Bonjour à tous !
Aujourd’hui pour le numéro #40, édition spéciale ! Vous avez le droit à un avant goût du reportage n°4 pour la série que nous écrivons pour France 24. En effet, l’épisode arizonien de celle-ci parlera des associations se dédiant à l’aide des migrants dans le désert avec en fil conducteur notre immersion au sein d’Humane Borders.
Enjoy !
(Comment ça un hasard ? Bien sûr qu’on a fait exprès que ça tombe sur le numéro 4.0)
Le récit
Stephen Staltonstall nous avait donné rendez-vous aux aurores. Les volontaires de Humane Borders (voir newsletter #38) se lèvent tôt lorsqu’ils partent vérifier leurs points d’eau laissés à disposition des migrants qui s’aventurent dans le meurtrier désert de Sonora. L’association nous a offert l’opportunité de suivre un de ces tours de ravitaillements.
Ce matin, outre vos deux journalistes français préférés, le groupe se compose de quatre personnes : les vétérans Stephen (que nous avons pas tardé à appeler Steve comme tout le monde) et Phil, déjà croisé à la réunion de mercredi, ainsi que deux nouvelles volontaires, Shay et Cindy.
Après un petit café dans la dernière station-service avant la frontière, l’imposant camion de Steve et le pick-up de Phil se mettent en branle en suivant la 286, Sasabe road. Le soleil commence à lever quand nous atteignons la première étape de notre “run” situé au beau milieu d’un panorama époustouflant.
Les points de ravitaillements sont signalés par des drapeaux bleus
Steve nous explique avec minutie la routine des Humane Borders. On commence par ôter le cadenas à code placé sur le container pour éviter toutes malveillances. On dévisse ensuite le bouchon à l’aide d’une clé spécifique. Ensuite, on prend deux informations en regardant à l’intérieur : le niveau de l’eau et l’éventuel formation d’un dépôt d’algues. Enfin, il sort invariablement son mug Humane Borders pour se faire couler une tasse, mesure la qualité de l’eau et la goûte lui même pour en vérifier le goût : “On ne veut pas donner aux migrants ce qu’on ne boirait pas nous-même”, explique-t-il.
Si tout est en ordre et que le niveau n’a pas trop baissé comme c’était le cas au point n1 alors on remballe tout et on passe à la suite. Une série de sept points d’eaux était au programme ce matin. Certains se situent dans des zones assez difficiles d’accès. Il ne vaut mieux pas s’y risquer sans pick-up ! Et même là, il arrive aux volontaires de devoir renoncer : c’était notamment le cas pour le point numéro 6, situé près d’anciennes mines de cuivre, et dont le chemin d’accès était partiellement inondé.
Steve est du genre affable. Il multiplie les anecdotes sur le désert qu’il arpente invariablement depuis trois ans maintenant, tous les vendredis. Des histoires, il en a des tonnes à raconter comme la fois où il est tombé sur un véritable camp de migrants en remplissant les bonbonnes d’eau. D’autres sont plus macabres : il lui est arrivé de trouver des ossements…
Phil est plus taiseux. Pourtant, il pourrait en raconter beaucoup aussi. Depuis qu’il est à la retraite, il multiplie les activités : cours de géologie, tutorat dans les écoles, aide aux sans-abris (dire qu’en France certains veulent opposer aide aux migrants et aux sans-domiciles bien de chez nous…). Son volontariat chez Humane Borders, il le résume ainsi “J’aide à sauver des vies et en même temps je peux randonner et me balader dans le désert ! Ce n’est pas contraignant du tout”, assure-t-il.
Distribuer de l’eau pour sauver de vies. Ce sont ces objectifs simples que se donnent les deux hommes. Mais des fois, l’activité d’Humane Borders ne suffit pas. Pour nous le faire comprendre, Steve arrête son camion pour un moment de recueillement devant une croix. Celle-ci a été érigée à l’endroit où a été retrouvé le corps d’un migrant : “Dire qu’il est décédé à seulement quelques mètres de la route et personne ne l’a aidé, c’est tragique”, souffle le retraité de 74 ans.
Le tour de ravitaillement se termine de l’autre côté de la frontière, au pied du mur frontalier. Là, les volontaires d’Humane Borders ont pour coutume de remettre le reste de leur eau au groupe Beta, un service mis en place par le gouvernement mexicain pour apporter une aide humanitaire aux migrants et tenter de les décourager. Aujourd’hui, c’est la totalité du réservoir que Steve remets aux hommes en orange : aucun des bidons inspectés n’avait besoin d’être remplacé. “La chose malheureuse pour vous, c’est que vous n’aurez pas de photo de moi en train de remplir les barils. Mais la chose heureuse c’est que personne ne mourra aujourd’hui dans le désert”, dit Steve. “Peut-être…”, finit-il par ajouter.
L’anecdote
À une minuscule poignée de miles à peine de la frontière entre USA et Mexique, juste avant le village de Sasabe, un panneau indique qu’il faut tourner à droite pour rejoindre le Ranch de la Osa. Le panneau n’a rien de différent de ceux qui indiquent la demi-douzaine de ranchs, plus au nord. Comme pour ceux-là, on se demande bien quel peut être l’intérêt d’acheter un terrain ici, au milieu des cactus, des Mesquites et du rien. Sinon l’isolement et la tranquillité, ce qui n’est pas rien, en fait.
Lorsqu’il a été fondé, au XVIIe siècle, le ranch était encore plus isolé du reste du monde, si l’on prend en compte les trajets à cheval ou en carriole sur un terrain peu favorable. Mais ce bout de terrain perdu est rapidement devenu un point sur la carte, un lieu qui deviendra important dans l’histoire des Etats-Unis, et du monde.
Rattaché au Mexique après que le pays a gagné son indépendance de l’Espagne, le lieu est rapidement devenu un point stratégique dans la guerre qui opposa le Mexique aux Etats-Unis. Le général Pancho Villa lui-même, tenta de reprendre le lieu. Un obus de canon est d’ailleurs toujours conservé sur le ranch, en souvenir de la guerre.
Rattaché aux USA à partir des années 1850, le lieu est, petit à petit devenu une destination privilégiée pour ceux qui étaient en quête de repos et d’isolement. De nombreux politiques venus de Washington et New-York y résidèrent, comme le Président Lyndon Johnson. Mais, plus étonnant : c’est là, à quelques kilomètres à peine du Mexique que le Plan Marshall, destiné à reconstruire l’Europe post-Seconde Guerre Mondiale a été conçu. On se demande bien comment et pourquoi un tel plan a été écrit si loin de son sujet, voire même de Washington, par son auteur William Clayton. Le fait est que c’est, là, au milieu des cactus, des rattle-snakes, des coyotes et des sauterelles que le grand plan de financement de l’Europe après les horreurs de la guerre a été conçu. Dans un lieu qui ne pourrait pas moins ressembler à l’Europe du Nord et à la France en particulier.
Côté people, John Wayne y est régulièrement venu faire du cheval. Sans aucun doute pour s’exercer à devenir l’acteur mythique que l’on connaît, loin des premiers paparazzis. Margaret Mitchell, auteure – auteur – autrice – écrivaine d’Autant en emporte le Vent y est aussi venue chercher l’inspiration. Là où le vent n’existe pas. Leurs chambres favorites sont désormais louables par tout un chacun.
Le son
America – A Horse with no name
On the first part of the journey,
I was looking at all the life.
There were plants and birds. and rocks and things,
There was sand and hills and rings.
The first thing I met, was a fly with a buzz,
And the sky, with no clouds.
The heat was hot, and the ground was dry,
But the air was full of sound.
I’ve been through the desert on a horse with no name,
It felt good to be out of the rain.
In the desert you can remember your name,
‘Cause there ain’t no one for to give you no pain.
La, la, la la la la, la la la, la, la
La, la, la la la la, la la la, la, la
https://www.youtube.com/watch?v=zSAJ0l4OBHM
Le programme de demain
À l’heure où nous écrivons, nous ne sommes pas encore sûrs du planning de demain. Soit nous rencontrons – enfin – Francisco Cantu, ancien membre de la Border Patrol et auteur du livre The Line becomes a river, dans lequel il raconte les raisons de sa démission. Il dénonce les conditions des migrants, traités de façon inhumaine par la garde frontalière. Il relate, par le menu, son quotidien d’agent dans le secteur de Tucson. Comment il a rencontré un immigré illégal, pris dans les mailles du filet de l’administration et comment il a cherché à l’aider malgré son ancien travail, qui était exactement l’inverse. Si Francisco Cantu préfére que nous le rencontrions plutôt dimanche, nous allons probablement mettre en forme nos notes de ces derniers jours et randonner dans l’Organ Pipe Cactus National Monument ou le Saguaro National Park.
Saguaro Cactus & Mesquite Tree